lundi 19 mai 2014

« Caricaturistes, Fantassins de la Démocratie » sur La Croisette

De la page officielle du Festival de Cannes.


De gauche à droite: Rayma Suprani, Zohoré, Boukhari, Damien Glez, Nadia Khiari (Willis From Tunis), Radu Mihaileanu, Stéphanie Valloatto, Plantu, Slim, Michel Kichka, Boligan.
Au premier rang (de gauche à droite): Danziger, Zlatkovsky, Pi San.


Avec Boligan, Pi San, Mihail Zlatkovsky, Plantu, Willis From Tunis, Radu Mihaileanu, Stéphanie Valloatto, Boukhari, Michel Kichka, Rayma Suprani, Boligan, Jeff Danziger et Damien Glez
Avec Boukhari, Michel Kichka, Rayma SupraniBoligan, Jeff Danziger et Damien Glez.

AJOUT

Si vous n’étiez pas devant Le Grand Journal hier pour voir Plantu et Nadia Khiari, cliquez ici pour voir le replay de l’émission : http://po.st/BWI2GU


AJOUT SUPPLÉMENTAIRE

Damien Glez dans Jeune Afrique:




Le festival de Cannes rend hommage à douze dessinateurs de presse du monde entier, parmi lesquels quatre Africains. Armés de leurs seuls crayons, ces « Fantassins de la démocratie » tentent de percer les chapes de plomb aussi bien démocratiques qu'écologiques. Même maladroitement.

Si l'on voulait caricaturer un caricaturiste, on ne le représenterait certainement pas engoncé dans un smoking et pris à la gorge par un nœud papillon. Les mondanités, ce type de journalisme poil à gratter qu'est la dessin de presse en fait habituellement de la chair à « cartoon ».

Ce lundi pourtant, à l’occasion de la projection du documentaire « Caricaturistes : fantassins de la démocratie », une douzaine de dessinateurs de presse se déguisaient en pingouins et gravissaient les marches du 67e festival de Cannes (que quelqu’un nous explique pourquoi on n’y a pas installé un ascenseur depuis tout ce temps). Comme semble le suggérer le titre plutôt ronflant du film, les « cartoonists » auraient-ils cédé aux sirènes de la jet set ? Ou au contraire, est-ce la réalisatrice Stéphanie Valloatto qui a eu la pertinente impertinence de pimenter ce parterre snob avec ceux que le pitch du film qualifie de « fous » ? Un gribouilleur politiquement incorrect à la place d’une starlette botoxée, c’est toujours ça de pris...

Co-écrit et produit par Radu Mihaileanu, le long-métrage déroule les quotidiens croisés de caricaturistes de tous horizons, de Moscou (Mikhail Zlatkovsky) à Caracas (Rayma), en passant par New-York (Jeff Danziger) ou Alger (Slim). Si son titre évoque des soldats, le terme de « fantassins » suggère bien que les dessinateurs sont les moins armés de cet escadron de la liberté. À l’instar des troufions de base, ils risquent parfois leur vie, comme le racontent le Syrien Ali Ferzat et le Danois Kurt Westergaard. Le premier a eu les mains brisées par les sbires de Bachar al-Assad, tandis que le second a été agressé par un fanatique armé d’une hache. Bien sûr, si les dessinateurs n’ont comme fusil-mitrailleur qu’un crayon, la mine de celui-ci, bien taillée, peut faire des dégâts qui ressemblent à s’y méprendre aux ravages d’une kalachnikov.

Le débat est ouvert

Faut-il blâmer le caricaturiste du turban de Mahomet en forme de bombe, considérant que son dessin établit un raccourci entre islam et terrorisme ? Faut-il le rendre responsable d’une émotion légitime, voire d’une indignation compréhensible ? Faut-il l’accabler d’une part de culpabilité quant aux émeutes qui suivirent les caricatures danoises, quand bien même ces manifestations furent orchestrées à grand renfort de manipulation ? C’est le débat qu’ouvre, sur grand écran, le film de Stéphanie Valloatto.

C’est aussi celui qu’alimente chaque jour "Cartooning for peace" -substance constitutive du documentaire-, l’association initiée par Koffi Annan et le dessinateur Plantu juste après l’affaire danoise. Moins irréprochables qu’un film volontiers hagiographique pourrait le laisser penser, ces fantassins-là ont le mérite de n’avoir comme munition que leur humour et comme cible que les chapes de plomb de leurs pays respectifs. Agaçants comme des garnements. Attendrissants de même. Car sur quel écran a-t-on le loisir de voir un Israélien et un Palestinien bras dessus bras dessous, si ce n’est dans ce film où s’étreignent les dessinateurs Michel Kichka et Baha Boukhari ? Le danger du cynisme cède finalement la place au risque du bon sentiment…

Un moindre mal ?

Si le film « Caricaturistes : fantassins de la démocratie » n’élude aucun débat intellectuel, il s’attarde surtout sur le quotidien d'un métier rare, menacé non seulement par le politiquement correct et l’autoritarisme, mais aussi par l’infographie aseptisée. Dans ce contexte, l’Afrique, représentée par un tiers des « héros » du film (Tunis, Alger, Abidjan et Ouagadougou) est un terrain de jeu essentiel, la presse y étant adolescente.

Comment griffonner en enjambant des cadavres ?

À Abidjan, par exemple, le long-métrage suit à la trace Lassane Zohoré, géniteur baraqué du personnage Cauphy Gombo et cofondateur du Gbich!, le journal "qui frappe fort", conformément à son nom qui est la retranscription du son d’un coup de poing. Apparu en kiosque le 7 janvier 1999, l’hebdomadaire d’humour et de bande dessinée a traversé les soubresauts de la crise politico-militaire, de la partition de la Côte d’Ivoire aux tensions postélectorales. Comment griffonner des dessins d’humour lorsqu’on doit enjamber des cadavres pour se rendre à la rédaction ? Si le « comment » est troublant, le « pourquoi » est indiscutable : le dessin de presse, pour peu qu’il vienne d’une publication fédératrice comme Le Gbich!, doit tout à la fois détendre les esprits surchauffés et remuer le crayon dans la plaie.

Et Zohoré tape indifféremment sur tout le personnel politique, un fait rare dans un pays où une presse très politisée s’accoquine souvent avec tel ou tel parti. La violence, il a fallu la regarder en face aussi en Tunisie, comme en témoigne le long-métrage présenté à Cannes. Au moment où vacillait Zine el-Abidine Ben Ali, l’illustratrice du chat "Willis from Tunis", Nadia Khiari, investissait les rues et y semait sa philosophie graphique impertinente, elle qui espérait n’avoir à utiliser son pot de peinture rouge que « pour dessiner le drapeau tunisien ».

Sa foi en la liberté de caricaturer est salutaire dans un pays où le déboulonnement d’un tyran n’est que le balbutiement d’un processus démocratique, où les pouvoirs contre-révolutionnaires sont tapis dans l’ombre avant même que la statue présidentielle déboulonnée ait touché le sol. L’équipe de tournage des « Fantassins » n’a pas seulement survolé Tunis de ses caméras-drones. Elle a pris soin d’y revenir plusieurs fois, notamment en cette période où… se dessinait la nouvelle Constitution. Sur grand écran, les sentences animales du félin tunisien révêlent que si un dessin peut blesser, c’est la preuve qu’aucune dictature n’a encore anesthésié -voire euthanasié- l’esprit critique. Cartoon, fais-moi mal que je sache que je suis vivant !

>> Retrouvez tous les dessins de Damien Glez ici


ENCORE DES AJOUTS 



Stéphanie Valloatto explique le credo du film à L’Express:



L’équipe du film au grand complet était lundi l’invitée de TV5MONDE sur la plage de Cannes pour une interview donnée dans la bonne humeur. Cliquez ici pour voir la vidéo : http://po.st/MtIRYn





Stéphanie Valloatto sur le site de Allo Ciné:

L'idée de "Caricaturistes" vous est-elle venue au moment de l'affaire des caricatures de Mahomet, ou c'était un projet que vous aviez en tête depuis plus longtemps ?
L'idée ne vient pas de moi mais de Radu Mihaileanu [producteur du film, ndlr] qui était ami avec Plantu. Ils se connaissaient depuis son film Train de vie, et lorsque Plantu lui a parlé de l'association Cartooning for Peace, il a flashé sur le sujet. Quelques années ont ensuite passé, et quand il est venu voir mon documentaire sur Philippe Labro, il a beaucoup aimé et m'a proposé la réalisation de ce film. Donc c'est né comme ça et ça n'a rien à voir avec les caricatures de Mahomet.

On ne voulait justement pas refaire un débat là-dessus, car il y avait déjà eu C'est dur d'être aimé par des cons, un très bon documentaire fait par Daniel Leconte. Donc ressasser tout ça n'était pas l'objectif, et c'est pour cette raison que je l'ai placé stratégiquement au milieu du film : on l'évoque car c'est très important, pour l'histoire de caricature, ce qu'il s'est passé, mais le vrai débat n'était pas là. L'idée était de faire un film sur ces dessinateurs, sur leur combat quotidien et d'être au plus près d'eux : un documentaire pour le cinéma.

Et ce côté fantassins, cette façon qu'ils ont de voir le futur de la société avant les autres, comme il est dit dans le film, c'est l'image que vous aviez d'eux avant de faire le film ?

Oui. Pour moi ce sont des avant-gardistes, et le côté fantassins, c'est parce qu'ils sont en première ligne. Je prends souvent cet exemple, mais il y a 60% d'analphabètes en Afrique : vu qu'ils ne savent pas lire, la première chose qu'ils voient sur un journal, c'est le dessin. Celui-ci a donc un impact très fort, et les dessinateurs sont en prise directe avec l'actualité. C'est pour cela qu'il y a des archives dans le film, car je voulais recontextualiser ce sur quoi ils avaient dessiné. Si vous enlevez le contexte du dessin, ça n'a plus d'intérêt, donc les auteurs sont des pionniers.

Une présentation au Festival de Cannes paraît donc idéale pour mettre en lumière le travail de ces caricaturistes et montrer les pressions qu'ils peuvent subir.

Oui, et l'objectif du Festival de Cannes c'est de conquérir les territoires étranger. En France c'est réglé car EuropaCorp nous distribue, Orange, Canal+ et France 3 ont financé le film et il y a une co-production avec la Belgique et l'Italie. C'est un film international dans lequel on parle plein de langues, donc il faut que ce soit montré partout car les atteintes à la liberté d'expression, c'est dans le monde entier.

Et puis il y a le fait d'avoir tous ces dessinateurs à Cannes. Nous on a fait ce voyage en équipe réduite, pour leur rendre visite dans leurs pays, donc on sait ce que c'est. Mais les faire venir tous, c'était comme un rêve qui se réalise grâce à Cannes, donc ça reste de la magie.

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